En Belgique, dans la plupart des écoles, dès l’entrée en secondaire (du moins jusqu’à la mise en application du Pacte d’excellence), la question se pose pour tous les futurs inscrits : « Faut-il choisir l’option latin ? ». J’ai la chance de travailler dans une école où le cours de culture antique fait partie du tronc commun de tous les élèves, mais cela n’a pas toujours été le cas dans mon parcours. Auparavant, mon travail de défense des langues anciennes se mettait en place dès la 6e primaire.
Ensuite, chaque année, lorsque les élèves reçoivent l’avis leur demandant d’indiquer leur choix de section pour l’année suivante, la question est à nouveau mise sur le tapis : « Dois-je continuer l’étude du latin ? ».
Quel jeu délicat que de présenter son cours sans rentrer dans un jeu de séduction, sans dénaturer la réalité et sans tomber dans un prosélytisme archaïque qui présenterait les langues anciennes comme une option d’élite au-dessus de ses « concurrentes » !
Chacun est évidemment le plus à même d’identifier les élèves face auxquels il se trouve et de choisir en fonction les arguments qui lui paraîtront les plus efficaces. Ce qui suit n’a donc pas vocation d’universel, ce sont seulement mes réponses face à mon public d’élèves et que je vous transmets en espérant que ceux-ci pourront inspirer les enseignants qui en ressentent le besoin.
Le travail de sensibilisation à l’intérêt d’étudier des langues anciennes aujourd’hui doit idéalement avoir lieu avant même l’entrée en secondaire.
Le latin est dans la plupart des écoles une option facultative qui n’apparaît qu’en 1re secondaire et qui est proposée à des élèves et des parents qui ne savent pas forcément ce qu’implique l’étude de cette « langue morte ».
Face à ce constat, il peut être intéressant d’organiser des séances d’informations sur le rôle et le contenu du cours de latin.
Les écoles secondaires connaissent les écoles primaires d’origine des élèves qui leur sont envoyées et ces dernières sont souvent preneuses d’activités de présentation des écoles. Avec l’accord de ma direction, j’avais pris l’habitude de l’accompagner lors de ses séances et de proposer un module d’une cinquantaine de minutes.
Force était de constater que les élèves étaient rapidement emballés par cette activité et que les effets ont été saisissants : là où l’école parvenait auparavant péniblement à créer trois classes de 1re latine, les trois classes étaient désormais créées dès la première semaine des inscriptions, et une quatrième première latine put voir le jour.
Double effet : non seulement les élèves informés avaient généralement envie d’essayer l’option latine au moins une année, mais en plus mon chef d’établissement, qui avait co-animé les séances d’informations, avait désormais mille arguments à proposer aux parents indécis !
Les partisans d’une école utilitariste en ont fait le marronnier de chaque rentrée scolaire : ne supprimerait-on pas l’apprentissage du latin au profit de cours plus modernes ?
Grâce à eux, les argumentaires sur les bienfaits de l’étude des langues anciennes ne manquent pas dans la presse et sur la toile et il est devenu possible d’en faire une activité à part entière en classe : renvoyer les élèves à un devoir de recherche sur le sujet est désormais un exercice assez facile.
Pas question pour moi ici de réinventer la poudre, j’ai juste repris ci-dessous les sept arguments qui, de mon expérience, touchent le plus les élèves désireux d’obtenir une réponse à la question existentielle de leur choix d’option :
- meilleure compréhension et maîtrise de la langue française
- facilité d’apprentissage des langues romanes accrue...
- ... mais aussi du vocabulaire des langues germaniques (25% du vocabulaire anglais proviennent du latin !)
- découverte d’un monde qui a nourri notre culture occidentale (films, livres, théâtre, jeux vidéos…)
- présence de vocabulaire technique latin dans de nombreuses disciplines (médecine, droit...)
- si la plupart des disciplines peuvent encore être apprises par la suite (cours du soir...), les occasions d'étudier les langues anciennes sont rares : c'est donc maintenant ou jamais !
- des études montrent que les personnes qui ont étudié les langues anciennes réussissent mieux leurs études (je prends néanmoins cet argument avec des pincettes, en soulignant qu'il est probable que ce soit surtout les élèves plus à l'aise dans leurs études qui ont fait ce choix)
La question de l’option est souvent associée à celle des débouchés futurs.
Ma première réponse aux élèves inquiets des pistes d’avenir qui s’offrent à eux est de dissocier les deux concepts. Je leur montre un tableau reprenant, pour chacun de mes condisciples de 4e année, l’intitulé du métier qu’ils voulaient faire à l’époque et celui qu’ils exercent effectivement aujourd’hui. Deux élèves sur les dix-huit que comptait ma classe font effectivement ce qu’ils imaginaient. Trois de plus ne font pas le métier attendu mais restent dans le même domaine. Les autres ont pris des routes tout à fait différentes.
Le système belge permet aux élèves de ne pas effectuer trop tôt leur choix d’avenir, je pense qu’il est important qu’ils en aient conscience et qu’ils ne croient pas réellement se « préparer à leur métier futur » durant leurs études secondaires.
Par ailleurs, il est intéressant de souligner que la rigueur associée à l’étude des langues anciennes en fait un profil recherché sur le marché du travail. Les étudiants sortis de ma filière sont par exemple devenus DRH, bibliothécaires, chargé des communications d’un théâtre, banquiers…
- l'aspect le plus compliqué des langues anciennes réside dans leur fonctionnement morphologique qui est étudié dès la première année ; le plus difficile est donc déjà passé
- une fois les bases grammaticales posées au premier degré, le cours de latin change énormément ; l'expérience des deux premières années ne peut donc pas être comparée avec celle de la troisième année qui vaut la peine d'être essayée
- d'expérience, aucun élève ne double que pour le cours de latin
- le nombre d'heures de cours entre cette option et une autre est le même (c'était en tout cas le cas dans mes écoles), on ne travaille donc pas "plus" en latin qu'ailleurs
- les programmes de langues anciennes sont suffisamment vastes pour offrir un panel d'activités très variées dans des domaines très différents. Preuve à l'appui, je présente les nombreuses sorties et sujets organisés cette année dans l'année supérieure
- dans de nombreuses écoles où j'ai pu travailler, le choix d'une option classique était aussi celui d'une ambiance de travail apaisée et d'une dynamique de travail bien plus positive que dans d'autres options